Finalement, avant tout autre, il faut que je parle de Shadow of the Colossus, car ce jeu est une évidence pour moi (et beaucoup d’autres), lorsqu’il s’agit de parler d’art et de jeu vidéo. Je ne ferai pas une critique du jeu, il doit en exister des centaines qui décrivent le fonctionnement du jeu et son contenu. Il est évidemment préférable d’y avoir joué et de l’avoir fini, d’abord pour ne pas se faire spoiler, mais aussi pour comprendre ce dont je parle. Cela m’évitera de devoir décrire l’action ou la scène avant d’en faire l’analyse. Je précise que ces articles sont écrits d’une seule traite, sans préparation, donc seront susceptibles d’apparaître décousus, et pourront être corrigés ou complétés par la suite.
La mise en place de l’ambiance
Avant l’affichage de l’écran d’accueil, le jeu nous présente l’arrivée du héros sur le lieu de l’histoire. Un prologue qui place immédiatement l’ambiance : lent, dépourvu de parole, juste de la musique, discrète, mélancolique, des sons, des sensations. Tout est fait pour donner l’idée au joueur que ce qu’il va vivre n’est pas forcément réjouissant, mais sera surtout marqué par le sceau de la solitude. En effet, aucun dialogue, aucune parole n’est prononcée ; on a l’impression d’avoir affaire à un film muet, les émotions étant principalement véhiculées par la musique et la mise en scène.
Après le prologue, et au démarrage d’une nouvelle partie, la deuxième partie de l’introduction se joue. Après l’entrée du héros dans le temple (dans le même ton que la première partie), survient une “entité divine”, qui indique au héros la mission à accomplir pour ressusciter sa bien-aimée. Son intervention semble plus celle d’une voix-off que d’un réel protagoniste du jeu (du moins jusqu’à la révélation finale) : une simple indication, plutôt à l’attention du joueur que du héros d’ailleurs, à laquelle aucune réponse n’est proposée. Ses interventions introduisent chaque “mission”, et ce seront les seuls mots entendus jusqu’à l’épilogue du jeu.
Les premiers pas du héros
C’est alors que le jeu à proprement parler commence. A ce stade le joueur sait ce qu’il a à faire mais absolument pas comment y arriver. Il est lâché dans la nature, vide, silencieuse (aucune musique n’est jouée à ce moment-là, mais nous y reviendrons). Seuls quelques bruits se font entendre (le vent, le cri d’un aigle, le galop d’Agro), ceci afin de mettre en place un silence crédible. Le joueur peut choisir à ce moment-là de faire le tour de la carte, personne ne l’en empêchera. Seules les indications du didacticiel tenteront de le guider durant ses débuts, ce qui, comme l’interface, est malheureusement nécessaire, mais gâche quelque peu l’immersion savamment mise en place par les développeurs du jeu. Le joueur peut expérimenter jusqu’au bout l’isolement dans lequel il se retrouve. Les développeurs ont clairement joué sur les habitudes vidéo-ludiques des joueurs de rencontrer systématiquement de l’opposition pour se faire la main avant de rencontrer les boss du jeu.
La rencontre du premier colosse
Ce contre-pied prend tout son sens lors de la rencontre avec le premier colosse. Celui-ci fait partie des plus grands du jeu, et la topographie du lieu où on le trouve est précisément établie pour que la caméra, se plaçant derrière le héros, crée un effet de contre-plongée rendant le colosse d’autant plus impressionnant. Un des grands plaisirs de ce jeu est d’utiliser la touche qui fixe la caméra sur le colosse (L2 si je me souviens bien) pour créer des cadrages absolument fascinants. Des petits détails se rajoutent pour créer cette démesure qui ne semble jamais artificielle, comme les oiseaux minuscules à l’écran s’envolant de la tête du colosse, sa lenteur à se déplacer, ses pas et ses coups de massue qui font trembler la terre. Au premier abord, le combat semble totalement déséquilibré, mais la résolution de celui-ci reste finalement tout à fait crédible. Le héros/joueur doit utiliser son seul avantage (petite taille et mobilité) pour se débarrasser de ce mastodonte, sans qu’à aucun moment cela ait l’air “cheaté”, c’est-à-dire piloté par les développeurs plutôt que par le joueur (je pense particulièrement à God of War et ses QTE utilisés pour se débarrasser des “colosses” rencontrés dans ces jeux). Ici, grimper sur le colosse pour atteindre son point faible demande de l’intelligence, de la ruse, de l’équilibre, de l’endurance et de la concentration, pas du tout de force qui, alors, aurait sembler hors de propos. Les qualités demandées au héros sont finalement les même que celles demandées au joueur devant son écran. Ce dernier a donc réellement le sentiment d’avoir triomphé d’un obstacle insurmontable grâce à ses qualités propres plutôt que celles de son avatar.
Un gameplay orienté puzzle/action
Les autres colosses demanderont de plus en plus de ruse, de réflexion, de concentration et d’adresse. Certains colosses seront beaucoup plus petits et ne souffriront donc pas d’un déficit en mobilité comme les plus grands, aussi faudra-t-il faire preuve de qualités différentes pour s’en débarrasser ; le challenge sera à chaque fois renouvelé, mais jamais l’avatar n’aura artificiellement progressé pour permettre au joueur de passer ces nouveaux obstacles. A chaque fois, ce sera au joueur que l’on demandera de progresser dans son approche des combats. Ce qui est, à mon avis, une approche trop peu utilisée dans les jeux en général (du moins, elle est souvent liée à la progression virtuelle de l’avatar).
A suivre…
Dans la deuxième partie, nous allons aborder le rythme du jeu, la construction des combats contre les colosses, et le scénario du jeu (qui n’apparaît qu’à la toute fin du jeu, mais donne tout son sens à l’aventure) [-> lire la 2ème partie]
J’ai eu l’occasion de voir quelqu’un jouer à Shadow il n’y a pas si longtemps et il est effectivement très esthétique. Par contre, il faut faire preuve d’une incroyable ténacité pour s’accrocher aux poils du colosse (je n’ai vu que le premier), retomber, regrimper, se rattraper in extremis… Je ne sais pas si j’aurai la persévérance nécessaire pour profiter de tout son potentiel artistique mais merci pour cet article qui m’a donné envie de m’y mettre.
C’est sûr qu’artistiquement (graphisme, musique, mise en scène), ce jeu est un pur chef-d’oeuvre, mais on oublie peut-être trop souvent que tout ça sert magnifiquement un Gameplay vraiment immersif, original, challengeant intellectuellement et techniquement. Et surtout le tout surpasse la somme de ces éléments (il n’y a guère que les contrôles et la caméra qui laissent aujourd’hui à désirer, même si ça ne m’avait pas vraiment marqué la première fois).