Après avoir terminé The Walking Dead, Saison 1, la comparaison avec Heavy Rain m’est venue immédiatement à l’esprit. Les deux jeux sont très semblables dans leur façon de traiter de la mort, des choix moraux et de l’évolution de l’histoire. Mais ils ont des qualités différentes, et j’ai eu envie de parler de ce qui était réussi ou raté dans ces deux jeux.
La réception du jeu
D’une part, on a un jeu qui a été très apprécié, tant par les professionnels que par les joueurs (The Walking Dead : de 89 à 94 sur Metacritic, 8,5 pour les joueurs) et d’autre part un jeu modérément apprécié, et même méprisé par de nombreux hardcore gamers (Heavy Rain : 87 de moyenne pour les professionnels et 7,4 pour les joueurs). Personnellement, j’ai beaucoup apprécié les deux, malgré des défauts existants dans les deux jeux.
Histoire
Ces deux jeux sont fortement axé sur leur histoire, donc mon opinion sur ces divergences d’appréciations est que The Walking Dead a une histoire qui touche plus les hardcore-gamers que Heavy Rain : Zombies, survie, relations et comportements humains réalistes, suspens, climax. Il est vraiment écrit comme une série (ce qu’il est d’ailleurs), le type de produit très populaire parmi les geeks. D’autre part, l’histoire de Heavy Rain parle du traumatisme d’un père qui a perdu ses deux fils (l’un est mort sous ses yeux, l’autre a disparu). En tant que père, je pense avoir le bon profil pour apprécier ce jeu, mais ce n’est certainement pas le cas pour une grande partie des joueurs. Cela constitue une énorme différence, même si nous pourrions argumenter (et nous aurions raison) qu’un vrai bon jeu (ou film, ou livre), d’un point de vue artistique, ne devrait pas nécessiter de prérequis pour être apprécié. C’est une grande différence dans la construction de l’histoire : The Walking Dead commence avec un homme seul qui décide de prendre soin d’une jeune fille seule, leur relation se construisant lentement à travers les dix ou quinze heures de jeu (en faisant des choix concernant sa vie, comme un père le ferait pour son enfant), tandis que dans Heavy Rain, la relation entre le père et ses fils ne se construit que durant un prologue d’une ou deux heures, où l’on se contente de découvrir une relation déjà existante.
Dans les deux jeux, la pression vient surtout de la peur de perdre “l’enfant” du joueur, mais la peur ne peut exister que si le joueur ressent la force de ce lien. Dans Heavy Rain, on ne lui donne pas beaucoup de temps pour créer ce lien, d’où la nécessité d’être un parent soi-même pour profiter pleinement de l’expérience, tandis que dans The Walking Dead, le jeu propose justement de prendre soin de Clémentine, et la construction de cette relation avec le joueur se fait naturellement. D’une manière générale, il est plus difficile de s’immerger en tant que joueur dans un personnage qui a déjà un passé dans le jeu (sauf si on a pu le personnaliser à notre goût), que de jouer avec un personnage sans passé ou du moins, avec un passé sans intérêt (comme c’est le cas dans la plupart des jeux). Heavy Rain échoue clairement à donner aux non-parents le sentiment d’en être un, et donc à transmettre la peur de perdre leur enfant virtuel, tandis que The Walking Dead y réussi à merveille (ceci dit, je me demande comment une fille apprécierait le jeu).
Les choix moraux
Le deuxième aspect qui rapproche ces deux jeux se rapporte aux choix que le joueur doit faire. Peu de jeux ont donné au joueur des choix si difficiles et si nombreux, sachant que ceux-ci peuvent avoir une influence sur la suite de l’histoire. Dans The Walking Dead, 90% du gameplay tourne autour de ces choix, à faire dans un temps limité. Il m’est arrivé plusieurs fois de regretter certains choix. J’y repensais même après avoir arrêté de jouer, et c’est un signe de grande qualité.
Dans Heavy Rain, il m’est arrivé de prendre beaucoup de temps pour faire mon choix (du moins, cela paraissait long, assis sur mon canapé, à essayer de me décider). C’était précisément le cas, lorsque le kidnappeur vous demande d’aller tuer quelqu’un que vous ne connaissez pas, afin de récupérer un nouvel indice sur le lieu où est enfermé votre enfant. Le jeu vous laisse énormément de temps pour vous décider, en déplaçant la scène de pièce en pièce, jusqu’à ce que le gars se retrouve par terre, vous suppliant de l’épargner. Et là encore, après déjà plusieurs minutes écoulées, je n’arrivais pas à me décider. Je suis resté là, ce qui m’a semblé une éternité, avant de finalement l’épargner. A la fin du jeu, j’ai regretté ce choix, car je n’avais pas assez d’indices pour localiser mon fils, mais j’ai réussi à le sauver grâce à un autre personnage. Je repense souvent à cette scène avec un grand plaisir, car elle constitue un des plus grand moment que j’ai jamais vécu dans un jeu vidéo. C’est précisément ce genre de moment qui fait du jeu vidéo un média si puissant, car il vous donne le pouvoir de prendre ce genre de décision.
La mort
Nous venons de voir comment The Walking Dead réussi à merveille à immerger le joueur dans le jeu à travers son histoire, et comment Heavy Rain a au contraire beaucoup plus de mal. La majorité du gameplay de The Walking Dead se fait à travers des choix à faire en un temps limité, qui ont pour conséquence d’influer sur la suite du jeu à court ou long terme. Heavy Rain propose la même chose, mais principalement au travers d’actions (via des QTE), plutôt que des dialogues.
Il y a néanmoins une énorme faiblesse dans le gameplay de The Walking Dead lorsqu’on compare à celui d’Heavy Rain. A vrai dire, 99% des jeux ont ce même défaut, et c’est ce qui rend Heavy Rain si bon à mon avis : la mort définitive. Lorsque vous jouez à The Walking Dead et avez autant de choix cruciaux à faire, sans retour possible (au cas où vous regretteriez votre choix), je trouve vraiment dommage que la mort de votre avatar n’ait d’autre conséquence que de vous faire rejouer la scène encore et encore jusqu’à ce que vous réussissiez enfin. Cela rend ces scènes totalement futiles et incohérentes, une fois que le joueur a réalisé que son avatar est immortel dans un jeu où tous les personnages vivent sur le fil du rasoir, et peuvent mourir à tout instant. Je pense qu’il aurait été préférable de retirer ces scènes où le joueur peut mourir, ou, mieux encore, le laisser mourir, et changer par là même la suite de l’histoire.
C’est précisément ce que Heavy Rain réussi à la perfection. Lorsque le joueur sait que les actions et les éventuelles erreurs qu’il peut faire sont irréversibles et peuvent tuer les personnages, il ressent une réelle pression, car il sait qu’il doit agir juste, rapidement, mais sans précipitation. Tout ceci a pour résultat un puissant sentiment de soulagement et d’accomplissement lorsque son personnage s’en sort vivant. Bien sûr, cela n’est possible que s’il y a plusieurs personnages jouables (comme dans XCOM, Suikoden ou Heavy Rain), ou un twist crédible du scénario (comme dans Demon’s Soul). Puisqu’il n’y a qu’un seul personnage jouable dans The Walking Dead (il y’en a quatre dans Heavy Rain, pour information), cela aurait été plus difficilement réalisable (mais une solution aurait pu être de changer le personnage-jouable à la mort de l’un d’eux).
Conclusion
En fin de compte , The Walking Dead aurait été un jeu absolument excellent s’il avait rendu possible la mort de Lee et avait réussi à l’incorporer dans l’histoire. Mais puisque la volonté des développeurs était de créer une relation père-fille entre Clémentine et Lee, la mort d’un des deux aurait complètement gâché l’expérience. De ce point de vue, il aurait été préférable d’éviter ces scènes inutiles où Lee peut mourir. D’un autre côté, Heavy Rain a beaucoup de mal à immerger le joueur dans la relation père-fils (qui est la base de toute l’histoire), probablement parce que la mettre en place dans l’intro du jeu était trop court pour créer une telle relation (c’est pourquoi cela aide énormément si le joueur est lui-même parent).