[Par souci de lisibilité de l’article, j’utiliserai le terme de “joueur(s)” pour désigner les joueurs et joueuses, quelque soit leur genre.]
Cet article est le quatrième d’une série consacrée aux jeux et l’apprentissage. Celle-ci a pour but de mettre les jeux en miroir des piliers de l’apprentissage tels que formalisés par la société Didask (dont je suis l’un des co-fondateurs, en toute transparence).
Retrouvez les articles existants ici :
– Introduction
– Présentation des piliers
– Pilier 1 : « Le cerveau a besoin d’apprendre par essai-erreur »
– Pilier 2 : « Le cerveau a besoin de mots et d’images »
– Pilier 3 : « Le cerveau ne peut pas traiter trop d’informations à la fois »
– Pilier 4 : « Le cerveau a besoin d’une attention focalisée »
– Pilier 5 : « Le cerveau a besoin de retrouver de mémoire ce qu’il a appris »
L’attention portée sur un jeu se décline de différentes manières selon les cas : besoin de concentration, proposer une immersion complète dans un univers, besoin de communiquer sans distraction avec ses coéquipiers, améliorer sa réactivité. Bien que les conditions pour créer une telle attention soient principalement exogènes au jeu, ces derniers tentent souvent de proposer des solutions, ou du moins des facteurs influençant ces conditions. Nous séparerons (une fois encore) les jeux vidéo (qui ont des moyens techniques bien différents) des jeux “sur table” (jeux de société et jeux de rôle sur table).
Les jeux “sur table”
Concernant les jeux sur table, les besoins sont très divers. Une partie d’échecs ou de cartes (par exemple Magic: The Gathering) jouée à haut niveau demande beaucoup de concentration et donc de silence. C’est dans les règles de ces compétitions que l’on trouvera les conditions favorisant un silence quasi-complet, ou un usage restreint des paroles. Peu de jeux se permettent de dicter les règles par lesquelles les joueurs doivent vivre leur partie, sauf dans les cas où les restrictions de communication font parties des mécaniques de jeux (exemple : Magic Maze, où les joueurs ne peuvent pas se parler pendant la partie, et doivent communiquer en s’échangeant un totem ou bien des regards appuyés). La question d’une communication claire et non-distraite se pose moins dans les jeux sur table car dans l’immense majorité des cas, le temps de jeu est contrôlé par les joueurs : ils peuvent faire une pause à tout moment et reprendre une discussion stratégique par la suite ; rares sont les jeux qui se jouent contre le temps. Un contre-exemple qui confirme la règle : le jeu de société Captain Sonar, dans lequel deux équipes de quatre joueurs recherchent le sous-marin de l’équipe adverse en temps-réel pour le détruire, chaque joueur ayant un rôle spécifique lui dictant la manière d’agir sur le jeu ; ce jeu demande concentration et communication.
Pour ce qui est de l’immersion, encore une fois, ce ne sont pas les règles du jeu qui vont répondre à ce besoin, mais plutôt les joueurs qui vont s’isoler dans un endroit peu propice aux distractions. Ceci est particulièrement valable pour les jeux de rôles sur table qui, selon de vieilles idées reçues, se joueraient mieux dans une cave. Si l’idée est évidemment caricaturale, elle indique tout de même à juste titre le besoin, non pas d’y jouer dans des endroits lugubres, mais d’y jouer dans des endroits protégés des distractions (cf. les enfants jouant à Donjons & Dragons dans leur sous-sol dans Stranger Things).
Les jeux vidéo et leur moyens techniques
Venons-en maintenant au cas des jeux vidéo. Ceux-ci ne sont pas plus capables d’empêcher les distractions extrinsèques mais proposent des solutions techniques pour améliorer l’immersion, la communication et/ou la concentration. L’un des principaux moyens d’immersion et d’isolement passe par la musique et les sons, voire l’absence de ceux-ci si cela est fait de façon volontaire. Contrairement aux images (on évoquera la réalité virtuelle plus bas), les sons et la musiques ont ce pouvoir d’être enveloppants, et donc de créer une “bulle” d’isolement artificielle autour du joueur tout en participant à améliorer l’ambiance et l’immersion dans le jeu (et peuvent également servir de mécanique de jeu à part entière). Pour le reste la focalisation se fera également en créant un contexte de jeu propice à la concentration et à l’immersion. L’image, la plupart du temps (cf. ci-dessous) par opposition est affichée sur un écran en deux dimensions finies et perd son pouvoir d’immersion dès lors que l’on tourne la tête ou que l’on ferme les yeux ; un contournement consiste par exemple à jouer dans le noir, le cerveau extrapolant inconsciemment le vide autour de l’image.
La Révolution VR
Mais depuis quelques années se développe une technologie révolutionnaire : la Réalité Virtuelle (ou VR en plus court, pour Virtual Reality). Cette technologie, bien que pas encore grand public à l’heure d’écrire ces lignes, a fait faire un pas de géant en ce qui concerne l’immersion et la concentration. Les joueurs se retrouvent dans un univers complètement fermé, à la fois visuellement, auditivement (notamment avec un casque), et même au niveau du touché avec les contrôleurs qui essaient de reproduire l’usage des mains et des doigts dans l’univers virtuel lui-même. Voilà une raison pour laquelle de nombreux concepteurs de “serious-games” se sont lancés dans cette technologie pour le développement de jeux tournant autour de la simulation de situations. C’est en effet une très bonne approche, bien que coûteuse, pour améliorer ce pilier de l’apprentissage dans un jeu (mais ce pilier uniquement).
On le voit bien, la focalisation attentionnelle est avant-tout un facteur extrinsèque au jeu lui-même, et vient principalement de la motivation des joueurs à se donner les meilleurs moyens pour s’immerger ou se concentrer sur leur jeu (comme sur leurs apprentissages). La meilleure solution reste donc de proposer un jeu donnant envie aux joueurs de se plonger dans ledit jeu, et pour cela tous les moyens sont bons, et c’est précisément ce qui fait la difficulté et le sel du game design, soit-il pédagogique ou non.