Dossier Shadow of the Colossus (2ème partie) – Gameplay et scénario

Shadow of the Colosus-02Après avoir traité de manière linéaire le début du jeu, nous allons maintenant aborder des sujets plus précis du jeu : Le rythme, les boss-fights et le scénario.
Note : si vous n’avez pas joué à ce jeu, évitez de lire cet article. Jouez au jeu, profitez-en, et lisez cet article ensuite. Il pourrait vous gâcher (un tout petit peu) le plaisir de la découverte (contient des spoilers).

Le rythme

Un des aspects les plus marquants du jeu est son rythme. Chaque “chapitre” (la destruction d’un colosse) est constitué de trois parties distinctes :

  1. La recherche La première consiste à rechercher celui-ci, en se basant sur les indications du “Dieu” du temple, et surtout sur la direction indiquée par l’épée du héros. Cette phase nous fait voyager librement à dos de cheval à travers un terrain relativement grand. Étant donné qu’il n’y a rien à y faire d’autre que rechercher les colosses (éventuellement la chasse aux lézards ou aux fruits), il semble judicieux de proposer un terrain suffisamment grand pour offrir une large variété de paysages (désertique, boisé, rocailleux, marécageux, montagneux, etc…), mais suffisamment petit pour que le joueur ne s’y perde pas, et ne finisse par s’ennuyer. La liberté est vraiment donnée au joueur de s’y abandonner selon son style de jeu (plutôt intéressé par l’exploration ou par l’action). Durant cette partie, aucune musique n’accompagne le joueur, créant un sentiment de solitude et une invitation à la contemplation encore plus grands. En effet, la musique est fréquemment utilisée, au cinéma ou dans le jeux, pour insuffler un certain rythme à l’action, et peut inconsciemment inciter le joueur à chercher l’action ou au contraire se laisser aller à la promenade. (dans l’exemple ci-dessus, la phase d’approche est inexistante, mais pour ne pas spoiler des boss plus tardifs, je me suis contenté de montrer le 3ème)
  2. L’approche Une fois l’antre du colosse découverte, on passe à la phase d’approche du colosse. Celle-ci peut fortement varier en longueur et en challenge ; on peut avoir notamment de longues phases de plate-forme/escalade, ou bien un simple “couloir” à parcourir. Dans tous les cas, Cette phase est marqué par la mise en place d’une nouvelle ambiance, dictée notamment par la musique, calme mais oppressante, et la linéarité du level-design obligeant le héros à progresser irrémédiablement à la rencontre du boss. L’expérience des colosses précédents, et leur apparition dramatique, crée même une tension chez le joueur, se demandant en permanence où, quand et comment le prochain colosse va apparaître, mais également à quoi va-t-il ressembler, quelle taille va-t-il faire, etc… Cette phase, en général assez courte, constitue une excellente préparation mentale du joueur à la phase suivante. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il n’est plus possible de sauvegarder une fois cette phase entamée.
  3. Le combat Vient enfin la phase du combat contre le colosse. Ici on revient à des choses plus classiques, avec une musique rythmée par des percutions ou les cordes de l’orchestre symphonique (principalement les violons, violoncelles et contrebasse). Évidemment, je ne parle pas des combats eux-mêmes, mais bien du rythme du jeu, qui utilise les recettes plus communes aux jeux d’actions, même si le level-design que représentent les boss en font des affrontements particulièrement intéressants et originaux (voir la partie correspondante). (Attention ! Spoiler!) (Le combat contre le colosse, avec un soupçon de réflexion pour trouver comment atteindre les points faibles, et de la plateforme pour y arriver)

Entre chacune de ces phases se joue une cinématique concluant la phase précédente et introduisant la suivante, de façon à ce que le changement dans le rythme se fasse de manière fluide. La fin d’un chapitre enchaîne donc directement avec le démarrage du suivant, sans pause.

Le Level-Design des combats

Maintenant que nous avons succinctement abordé les combats, nous allons étudier ce qui en font des moments inoubliables par leur aspect ludique d’abord, mais aussi leur originalité.

En général, le level-design d’un combat de boss (boss-fight en anglais) n’est pas constitué par le boss lui-même, mais principalement par son environnement (où peut-on se réfugier ? Comment utiliser le décor pour créer des ouvertures ? Comment se rapprocher de son point faible ?). Les boss répondent également à un chara-design qui doit en faire des adversaires plus impressionnants les uns que les autres. Ici, le système de combat (qui consiste à grimper et se déplacer sur le colosse) fait que le level-design et le chara-design du boss se rejoignent. A l’exception de deux boss sur les seize du jeu, ils demandent tous au joueur de se hisser sur le colosse pour atteindre son ou ses points faibles, afin de les détruire avec son épée.

A chaque boss, le challenge évolue. Les trois premiers colosses constituent une introduction aux différentes mécaniques utilisées à travers le jeu. Le premier ne nécessite que l’utilisation de l’épée et des capacités d’escalade pour le tuer. Le second se présente sans aucune prise apparente pour lui monter dessus. L’utilisation de l’arc est alors requise pour le toucher sous la plante des pattes pour le faire trébucher. Le troisième nécessite d’étudier ses actions pour trouver un moyen de lui monter dessus. Non seulement, il faut attendre qu’il tape par terre pour pouvoir monter sur son arme, mais, se rendant compte qu’on ne peut grimper le long de son bras, il faudra au joueur lui tendre un piège pour se débarrasser de cet obstacle. Le jeu introduit alors une des notions très importantes de ce jeu : l’aspect réflexion. C’est cette réflexion qui rend l’immersion fabuleuse au niveau des combats. Le héros a besoin de son intelligence pour triompher de la force colossale de ces gigantesques statues vivantes. Et cette intelligence, elle n’est pas intégrée au gameplay (comme c’est souvent le cas dans les RPGs) ou partiellement guidée par le jeu (ce qui est le cas des boss-fights des Zelda, par exemple). Ici, c’est l’intelligence du joueur qui aura raison du boss, le jeu ne servant que de mise en image de la résolution du problème posé. Le héros/joueur triomphera du colosse parce que son intelligence lui est supérieure, ce qui fait automatiquement raisonner en nous ce sentiment d’être une espèce supérieure à toutes les autres, quelle que soit leur force brute. Les puzzles se complexifieront petit à petit, jouant avec des environnements plus grands, des colosses aériens, marins, souterrains, dotés d’armes plus puissantes et variées.

(Attention ! Spoiler!) (ici, le boss demande d’utiliser l’environnement pour le piéger et le retourner, et ensuite se positionner de sorte à se retrouver au-dessus de lui quand il se relèvera)

Cette caractéristique énigme/action des combats pourrait se rapprocher de ce que l’on trouve dans les Zeldas par exemple, mais il me semble qu’une différence majeure en fait un jeu à part : A aucun moment le jeu n’introduit une nouvelle arme ou un nouveau pouvoir susceptible de détruire le boss ; seul le joueur doit trouver de nouvelles ressources en lui pour résoudre le challenge proposé. On nous demande donc une solution de type puzzle-game, mais la réalisation est celle d’un action-game. Ce mariage au niveau des boss-fight participe grandement à donner un cachet si particulier à ce jeu.

Le scénario

J’ai personnellement la conviction qu’une œuvre d’art en général, ou un élément de celle-ci, vaut plus par la force du souvenir qu’elle nous laisse que par l’émotion que l’on ressent au moment de la, ou le, vivre. Le scénario du jeu répond parfaitement à ce paradigme. En effet, celui-ci n’est conté qu’à travers l’introduction et l’épilogue du jeu, à l’exception notable d’une cinématique après la mort du 13ème colosse. Ce qui signifie que le jeu se fait d’une traite, sans pause pour conter l’histoire, là où la plupart des jeux mettent régulièrement “en pause” le gameplay pour faire avancer l’intrigue (à travers des cinématiques ou des dialogues). Certains game-designers (Shigeru Miyamoto, notamment dans les marios 2D) préfèrent se passer purement et simplement d’intrigue pour ne pas impacter le rythme du jeu.

Le génie de Fumito Ueda est de non seulement répartir l’intrigue (car il y en a une) entre l’introduction et l’épilogue, mais surtout de proposer une conclusion qui pousse le joueur à repenser, à juger même, tout ce qu’il a accompli durant le jeu. Il va même jusqu’à la rendre jouable, donnant au joueur la sensation de pouvoir peut-être changer le destin funeste du héros, et le laisse lutter aussi longtemps qu’il le souhaite contre celui-ci, jusqu’à ce qu’il décide finalement de s’y soumettre. Toute surprenante que soit cette fin, on repense aux scènes de mort des colosses, terrassés par l’épée du héros, s’écroulant lourdement dans une musique qui nous laissait alors entrevoir l’issue tragique de cette aventure.

De fait, la deuxième fois que l’on joue au jeu, nos actions ne se font plus avec la même motivation, car on sait à ce moment précis que notre choix doit se faire entre sauver notre bien-aimée et épargner des êtres au destin tout à fait louable. Évidemment, et c’est une limitation du jeu, il n’y a pas d’alternative, et refuser de tuer les colosses équivaut à refuser de jouer au jeu.

A suivre (encore)

Dans la troisième partie de ce dossier, nous allons creuser le rôle d’Agro et la relation que le héros (et le joueur) crée avec lui. [-> lire la 3ème partie]

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3 Commentaires

  1. Trouvé la motiv pour écrire ? ! 😉

  2. Ping :Dossier Shadow of the Colossus (1ère partie) – Introduction - L'Art du Jeu

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