Agro est un personnage très important dans la quête du héros. D’une certaine manière leur relation ressemble à celle du héros de Ico et Yorda, mais elle diffère principalement dans le fait que Agro n’est pas le but de la quête de Wander, mais un compagnon, une aide pour la réaliser.
Note : si vous n’avez pas joué à ce jeu, évitez de lire cet article. Jouez au jeu, profitez-en, et lisez cet article ensuite. Il pourrait vous gâcher (un tout petit peu) le plaisir de la découverte (contient des spoilers).
Agro, un personnage à part entière
Avant toute chose, il faut rendre à Agro sa valeur de vrai personnage de jeu vidéo. Contrairement à nombre de jeux où les chevaux ne sont rien de plus que des véhicules pour transporter le joueur, Agro est ici un vrai compagnon de route pour Wander. Ceci est rendu principalement par le mode de contrôle qu’a le joueur sur Agro. A la manière de Yorda dans Ico (ou de tout compagnon IA que l’on peut trouver dans d’autres jeux), le joueur ne contrôle que Wander, même quand celui-ci est sur son cheval. On ne peut faire avancer Agro qu’en lui mettant des coups de talons, ou en tirant sur les rênes d’un côté ou de l’autre. Ce type de contrôle se rapproche fortement de ce que l’on trouve par exemple dans Trials HD. Cela permet d’abord de ne jamais casser l’immersion dans le jeu à travers le héros, tout en permettant de donner à Agro sa personnalité propre : il peut refuser de faire certaines actions (notamment tomber d’une falaise, ce qui aide à garder les limites du terrain de jeu cohérentes) ou bien prendre des initiatives (sauter sur une petite distance).
De la même manière, lorsque le héros n’est pas sur son dos, Agro a un comportement bien défini. On sent que les programmeurs ont passé du temps à lui créer un vrai caractère. Il a tendance à fuir les colosses, de manière général, en poussant des hennissements de peur. Quand on l’appelle, il revient avec appréhension, tentant d’éviter les explosions, les coups, etc… Cela rend le jeu plus difficile, mais en donnant à Agro un comportement réaliste, ou du moins vraisemblable, il permet de ne jamais briser l’immersion dans cet univers, et à créer une vraie relation entre Agro et Wander.
Ceci est très important dans le cadre du scénario (voir ci-dessous).
Agro, seul compagnon de route
Car, il faut bien reconnaître que dans ce monde (presque) totalement vide, hormis des colosses peu causants, le héros pourrait se sentir bien seul. Heureusement, il y a ce brave Agro, toujours proche du héros, aux animations, bruitages et comportement tout à fait crédible, qui nous rappelle que si l’on ne pourra s’en sortir seul, on le pourra grâce à lui.
Il y a plusieurs choix de design dans le jeu qui construisent cette relation avec lui. Tout d’abord, comme on l’a vu précédemment, tout a été mis en œuvre pour donner à Agro une personnalité propre et crédible. Ensuite, la manière que l’on a de l’appeler rappelle très fortement ce que l’on pouvait faire dans Ico, avec trois façon d’appeler son compagnon (Agro dans SotC) ou sa compagne (Yorda dans Ico) en fonction de la distance. Enfin il y a toutes ces interactions que l’on peut réaliser avec lui qui donne une richesse plutôt rare à ce « véhicule » (qui, si vous avez bien suivi, est en fait bien plus que cela) : on peut grimper dessus, se cacher sur chacun de ces côtés, ou bien se battre tout en le chevauchant. A vrai dire, il y a beaucoup de ces aspects qui ne sont pas du tout indispensables à la complétion du jeu, mais qui rajoute, encore une fois, à cette simulation qu’est en fait le moteur de ce jeu (comme on en a parlé dans la deuxième partie de ce dossier). Ce souci du détail se retrouve également dans la possibilité de s’accrocher à un aigle ou aux colombes, histoire de planer un temps.
Bien sûr, on ne remarque vraiment la puissance de la relation établie entre le joueur et Agro que lors de la scène précédant la rencontre du colosse final (que je ne spoilerai pas ici, mais tous ceux qui y ont joué savent de quoi je parle, et les autres ne devraient de toutes façons même pas être en train de lire). A titre de comparaison, à aucun moment dans Red Dead Redemption, la disparition d’une monture ne procure la moindre émotion (voilà, j’ai craqué).
Mais Agro n’est pas qu’un artefact scénaristique ou d’immersion, il fait partie à part entière du gameplay du jeu, comme nous allons le voir tout de suite.
Agro, un outil de gameplay
En plus de toutes les acrobaties que le héros peut réaliser avec Agro, ce dernier a deux rôle principaux en terme de gameplay dans le jeu.
Tout d’abord, il sert principalement à aider Wander dans son exploration de ce monde totalement inconnu, et plutôt vaste. On pourrait s’en passer la plupart du temps (à part le pont précédant le dernier boss, il me semble), mais c’est surtout pour gagner du temps, et cela oblige dans le même temps le joueur à l’utiliser, et à interagir avec lui (car rappelons-le, pour faire avancer Agro, on doit en fait interagir avec lui via le héros), ce qui permet de construire tout le long du jeu, la forte relation entre le cheval et le héros/joueur. Point de fast travel dans ce jeu, on est obligé de traverser les landes à dos de cheval pour rejoindre les zones où se trouvent les colosses (simulation, réalisme, etc…).
Deuxièmement, il sert également à de plus rares occasions lors des combats contre les colosses. Il n’est présent que lors des affrontements contre les colosses 2, 4, 9, 10 et 13. De manière général, il sert surtout à fuir le colosse, histoire de reprendre son souffle et prendre un peu de distance par rapport au combat pour analyser et éventuellement modifier sa tactique. Mais il a tout de même un rôle réellement prépondérant contre les colosses 10 et 13, ou il faut rivaliser de vitesse avec ceux-ci, ce qui n’est évidemment possible qu’à dos de cheval (notez qu’il prend une place encore plus importante vers la fin du jeu donc, renforçant encore le lien entre le joueur et Agro).
Ces outils de gameplay finissent de donner une vraie consistance à ce personnage, qui du coup, donne un tout autre visage au périple de Wander, et de manière beaucoup plus forte, par exemple, que la relation entre Epona et Link dans Ocarina of Time (qui avait déjà fait forte impression à l’époque, et à juste titre, mais c’est une autre histoire).
To be continued…
Dans la prochaine partie, je parlerai des graphismes et de la direction artistique du jeu, qui sont partie prenante dans la puissance émotionnelle de ce titre. [-> lire la 4ème partie]
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